Les masques sont-ils efficaces contre le Covid-19 ?

Lorsque ses collègues ont suggéré pour la première fois de distribuer des masques de protection en tissu aux habitants de Guinée-Bissau pour endiguer la propagation du Covid-19, Christine Benn n’était pas sûre que ce soit utile.

« Oui, c’est peut-être bien, mais il y a peu de données sur l’efficacité réelle des masques », s’est alors dit cette chercheuse en santé à l’université de Copenhague, qui a mené pendant des décennies des campagnes de santé publique dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, l’un des plus pauvres du monde.

C’était en mars. Mais en juillet Christine Benn et son équipe ont trouvé le moyen d’obtenir des données fiables sur l’efficacité des masques contre la propagation du Covid-19. Ils ont distribué aux habitants de Guinée-Bissau des milliers de masques en tissu fabriqués localement dans le cadre d’un essai contrôlé randomisé, ce qui constitue à ce jour la plus grande expérience mondiale sur ce sujet.

Les masques sont le symbole omniprésent d’une pandémie qui, à la mi-octobre, a touché près de 40 millions de personnes et en a tué plus de 1,1 million. Dans les hôpitaux et autres établissements de santé, l’utilisation de masques spécifiques (les fameux masques FFP2, en Europe) réduit clairement la transmission du coronavirus. Mais pour les diverses sortes de masques utilisés par le grand public (masques dits « chirurgicaux », masques en tissu, etc.), les données sont disparates, parcellaires et souvent rassemblées sans grande rigueur. Ajoutez à cela un discours politique changeant, voire qui dénigre l’utilisation des masques, comme le fait Donald Trump, et la confusion devient générale. « Le problème est que les gens interprètent les données différemment », explique Baruch Fischhoff, psychologue à l’université Carnegie-Mellon, à Pittsburgh, en Pennsylvanie, spécialisé dans les politiques publiques. « C’est légitimement déroutant. »

Pour être clair, la science soutient l’utilisation des masques. Des études récentes indiquent qu’ils sont bénéfiques de diverses manières : ils réduisent le risque de transmettre ou d’attraper le coronavirus, voire pourraient réduire la gravité de l’infection en cas de contamination.

Mais il est plus difficile de déterminer avec certitude si tel ou tel masque fonctionne bien ou quand il est le plus utile de le porter. Il existe de nombreux types de masques, utilisés dans des environnements variés. On ne sait pas clairement dans quelle mesure les gens acceptent de les porter, quand ils les portent exactement et s’ils les mettent correctement. Même la question de savoir quel type d’étude apporterait la preuve définitive de leur efficacité n’a pas de réponse évidente. « Quel doit être le niveau de preuve ?, se demande Baruch Fischhoff. C’est une question vitale. »

Au-delà de l’étalon-or

Au début de la pandémie, les experts ne savaient pas précisément comment le SARS-CoV-2 se propageait, et n’avaient pas assez de preuves pour formuler des recommandations fermes sur l’usage des masques.

Le masque utilisé dans les établissements de santé en Europe est le masque FFP2 (son équivalent est le N95 aux États-Unis et le KN95 en Chine). Il est conçu pour filtrer 95 % des particules de 0,3 micromètre ou plus. Au fur et à mesure que la pandémie s’intensifiait, ces masques se sont rapidement trouvés en nombre insuffisant. Cela a soulevé une question désormais controversée : les citoyens devaient-ils porter des masques chirurgicaux standard ou des masques en tissu ? Et si oui, dans quelles conditions ? « Normalement, on répond à ces questions avec des essais cliniques », explique Kate Grabowski, épidémiologiste à l'école de médecine de l’université Johns-Hopkins, à Baltimore, dans le Maryland. « Mais au début de la pandémie, nous n’avions pas le temps nécessaire pour cela. »

Les scientifiques se sont donc appuyés sur des observations et des études de laboratoire. Des preuves indirectes proviennent aussi de l’utilisation des masques dans d’autres maladies infectieuses respiratoires. « Si vous regardez chacune de ces études individuellement, ça n’est pas une démonstration incontestable. Mais, pris dans leur ensemble ces indices me semblent convaincants sur le fait que les masques sont efficaces contre le Covid-19 », estime Kate Grabowski.

Cette confiance dans l’efficacité des masques s’est accrue en juin avec le cas de deux coiffeuses du Missouri qui ont été testées positives au Covid-19. Toutes deux portaient un masque de coton à double couche ou un masque chirurgical lorsqu’elles travaillaient. Et bien qu’elles aient transmis le virus aux membres de leur foyer, leurs clients semblent avoir été épargnés (même si la moitié auraient refusé les tests gratuits). D’autres indices sont apparus lors des rassemblements de masse. Lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter dans les villes américaines, la plupart des participants portaient des masques. Ces manifestations ne semblent pas avoir provoqué de pics d’infection, alors que le virus s’est répandu fin juin dans un camp d’été en Géorgie, où les enfants et adolescents n’étaient pas tenus de porter un masque. Les réserves sont cependant nombreuses : les manifestations se sont déroulées en plein air, ce qui présente un risque moindre de propagation du Covid-19, alors que les jeunes du camp partageaient des bungalows la nuit, par exemple. Et comme de nombreuses personnes sont restées chez elles pendant les manifestations, cela aurait pu réduire la transmission du virus dans la communauté. Néanmoins, des preuves anecdotiques comme celles-ci « brossent un tableau », juge Theo Vos, un chercheur en politique de santé de l’université de Washington à Seattle.

Des analyses plus rigoureuses ont apporté des preuves directes. Une étude prépubliée début août (mais pas encore examinée par un comité de lecture) a révélé que l’augmentation hebdomadaire de la mortalité par habitant était quatre fois plus faible dans les endroits où les masques étaient la norme ou imposés par les autorités, par rapport à d’autres régions. Les chercheurs ont examiné 200 pays. En Mongolie, qui a adopté le port de masques dès janvier, notamment, aucun décès lié au Covid-19 n’était recensé en mai. Une autre étude s’est penchée sur les effets des mesures prises par plusieurs États américains qui ont rendu obligatoire le port du masque dans certains contextes en avril et en mai. Les chercheurs ont estimé que ces mesures ont réduit le taux d’augmentation des cas de Covid-19 de 2 points de pourcentage par jour. Ils suggèrent – avec prudence – que ces mesures auraient permis d’éviter jusqu’à 200 000 cas aux États-Unis.

« Il n’est pas nécessaire de faire de savants calculs pour comprendre que les masques sont manifestement une bonne idée », déclare Jeremy Howard, chercheur à l’université de Californie à San Francisco. Avec des collègues, il a passé en revue les diverses preuves de l’efficacité du port de masques faciaux dans un article en prépublication largement diffusé.

Les masques sont-ils efficaces contre le Covid-19 ?

Mais de telles études reposent sur des hypothèses selon lesquelles les recommandations en faveur du port de masque sont suivies par la population, et que les gens portent correctement leur masque. En outre, le port du masque va souvent de pair avec d’autres mesures, comme la distanciation ou la limitation des rassemblements. Lorsque les restrictions seront levées, des études observationnelles supplémentaires réussiront peut-être à distinguer l’impact des masques de celui des autres mesures, suggère Kate Grabowski. « Il sera plus facile de voir l’effet de chaque facteur. »

De nombreuses variables sources de confusion ne peuvent être contrôlées dans les études sur des populations humaines, mais ce n’est pas le cas dans les études sur les animaux. L’équipe du microbiologiste Yuen Kwok-yung, de l’université de Hong Kong, a par exemple hébergé des hamsters infectés et des hamsters sains dans des cages voisines, séparées ou non par une cloison de la même matière que les masques chirurgicaux. L’article publié en mai par l’équipe rapporte que sans cette barrière, environ deux tiers des animaux sains ont été infectés par le SARS-CoV-2, tandis que seulement un quart environ des hamsters protégés par les cloisons en masques ont été infectés. En outre, ceux qui l’ont été étaient moins malades que leurs voisins dépourvus de protection (selon une mesure basée sur des scores cliniques et sur l’altération des tissus).

Ces résultats justifient le consensus qui a émergé selon lequel le port d’un masque protège aussi bien celui qui le porte que les autres. Des travaux mettent également en évidence une autre idée susceptible de changer la donne : « Le masque peut non seulement vous protéger contre l’infection, mais aussi réduire la sévérité du Covid-19 », explique Monica Gandhi, médecin spécialiste des maladies infectieuses à l’université de Californie à San Francisco.

Monica Gandhi est la coautrice d’un article publié fin juillet qui suggère que le masque réduit la quantité de particules virales que son porteur peut recevoir, ce qui, en cas d’infection, entraîne une forme moins sévère, voire asymptomatique, de la maladie. Selon la chercheuse, une charge virale plus importante entraînerait en effet une réaction inflammatoire plus agressive.

Avec ses collègues, Monica Gandhi analyse actuellement les taux d’hospitalisation pour le Covid-19 avant et après l’instauration de mesures en faveur du port du masque dans 1 000 comtés américains, afin de déterminer si la gravité de la maladie a diminué après la généralisation des masques.

L’idée que l’exposition à une plus grande quantité de virus entraîne une infection plus grave est « absolument logique », déclare Paul Digard, virologue de l’université d’Édimbourg, au Royaume-Uni, qui n’a pas participé à la recherche. « C’est un autre argument en faveur des masques. »

Monica Gandhi suggère un autre avantage possible : si davantage de personnes contractent des cas bénins, cela pourrait contribuer à renforcer l’immunité de groupe de la population sans augmenter le nombre de morts ni la pression que font peser les formes graves sur les systèmes de santé. « En attendant un vaccin, l’augmentation du taux d’infections asymptomatiques pourrait-elle améliorer l’immunité globale de la population ? »

Retour à la balistique

Le débat sur les masques est étroitement lié à une autre question qui fait débat : comment le virus se déplace-t-il dans l’air et répand-il l’infection ?

Dès qu’une personne respire ou parle, éternue ou tousse, une fine pulvérisation de particules liquides prend son envol. Certaines sont grosses et même visibles, on parle de gouttelettes ; d’autres sont microscopiques, et sont classées comme des aérosols. Les virus s’accrochent à ces particules, dont la taille dicte le comportement.

Les gouttelettes peuvent être projetées dans l’air et atterrir sur les yeux, le nez ou la bouche d’une personne proche et provoquer une infection. Mais la gravité les fait rapidement retomber au sol. Les aérosols, en revanche, peuvent flotter dans l’air pendant plusieurs minutes, voire des heures, et se répandre dans une pièce non ventilée, un peu comme la fumée d’une cigarette.

Qu’est-ce que cela implique pour la capacité des masques à entraver la transmission du Covid-19 ? Le virus lui-même n’a qu’un diamètre d’environ 0,1 micromètre. Mais comme les virus ne quittent pas le corps d’eux-mêmes, un masque n’a pas besoin de bloquer des particules aussi petites pour être efficace. Les vecteurs qu’il convient de bloquer sont les gouttelettes et les aérosols qui transportent les agents pathogènes. Leur diamètre peut varier entre 0,2 micromètre et des centaines de micromètres, pour une taille typique de 1 à 10 micromètres. Ces aérosols peuvent rester longtemps en suspension dans l’air, explique José-Luis Jiménez, chimiste à l’université du Colorado à Boulder.

Les scientifiques ne savent toujours pas quelle taille de particule est la plus importante dans la transmission du Covid-19. Ils ne sont même pas tous d’accord sur le seuil qui définit les aérosols. Et pour les mêmes raisons, on ne sait toujours pas avec certitude quel est le principal mode de transmission de la grippe, pourtant étudiée depuis bien plus longtemps.

De nombreux épidémiologistes pensent que la transmission par les personnes asymptomatiques est le moteur de la pandémie de Covid-19, ce qui laisse penser que le SARS-CoV-2 n’est pas seulement diffusé par les éternuements et la toux. Selon ce raisonnement, les aérosols seraient le principal vecteur de transmission. Il est donc capital de déterminer si les masques, et lesquels, peuvent arrêter ces aérosols.

Tout est dans le tissu

En conditions d’utilisation réelle, même les masques N95 bien ajustés ont une efficacité légèrement inférieure au taux de filtration annoncé de 95 % des aérosols de 0,3 micromètre et plus : ils sont plus proches de 90 %. Et, selon des études encore non publiées, les masques N95 dépourvus de valve d’expiration – qui expulsent l’air expiré sans le filtrer – bloquent une proportion similaire des aérosols expirés. On en sait beaucoup moins sur les masques chirurgicaux et en tissu, explique Kevin Fennelly, pneumologue à l’Institut du cœur, des poumons et du sang de Bethesda, dans le Maryland.

Une revue systématique de 172 études observationnelles menées dans 16 pays réalisée par une équipe internationale est arrivée à la conclusion que les masques chirurgicaux et les masques en tissu comparables réduisent de 67 % le risque d’être infecté.

Dans une étude encore non publiée, Linsey Marr, ingénieure en environnement à l’université Virginia Tech, et ses collègues ont découvert que même un tee-shirt en coton peut bloquer la moitié des aérosols de 2 micromètres inhalés et près de 80 % de ceux expirés. Et au-dessus de 4 à 5 micromètres, n’importe quel tissu ou presque bloque plus de 80 % des aérosols dans les deux sens, précise-t-elle.

Plusieurs couches de tissu sont plus efficaces qu’une seule, et plus le tissage est serré, mieux c’est. Une autre étude a révélé que les masques comportant plusieurs couches de différentes matières – coton et soie par exemple – arrêtent les aérosols plus efficacement que ceux fabriqués à partir d’une seule matière.

Christine Benn a travaillé avec des ingénieurs de son université danoise pour tester la conception de leur masque en tissu à deux couches en utilisant les mêmes critères que pour les masques N95 ou assimilés. Ils ont constaté que leur masque ne bloquait que 11 à 19 % des aérosols de 0,3 micromètre. Mais comme la plupart des contaminations se font probablement via des particules d’au moins 1 micromètre, selon Linsey Marr et José-Luis Jiménez, la différence réelle d’efficacité entre le masque N95 et les masques en tissu pourrait ne pas être énorme.

Avec ses collègues, Eric Westman, chercheur clinicien à l’école de médecine de l’université Duke, à Durham, en Caroline du Nord, a proposé dans un article publié en août une preuve de principe d’une méthode simple pour tester l’efficacité des masques. À l’aide d’un laser et de la caméra d’un simple smartphone, son équipe a visualisé la quantité de gouttelettes expulsées par un homme qui parle en portant une protection faciale, pour 14 types de protection différents, des masques chirurgicaux aux simples vêtements en passant par des masques en tissu. « J’ai été rassuré par le fait que la plupart des masques que les gens utilisent fonctionnent de façon satisfaisante », explique-t-il, en faisant référence aux masques en tissu et aux masques chirurgicaux. Mais les tours de cou en tissu extensible tirés sur la bouche et le nez semblent au contraire réduire la taille des gouttelettes libérées, « ce qui pourrait être pire que de ne rien porter du tout », selon Eric Westman.

Certains chercheurs doutent néanmoins de cette dernière affirmation, basée sur une seule personne. Linsey Marr et son équipe ont mené leurs propres expériences, et disent avoir constaté que les tours de cou bloquaient la plupart des grosses gouttelettes. La chercheuse est en train de mettre en forme ses résultats pour publication.

« Il y a beaucoup d’informations sur l’efficacité des masques, mais quand on met toutes les études les unes à côté des autres, ce n’est pas évident de savoir quoi en penser », explique Angela Rasmussen, virologue à la Mailman School of Public Health de l’université de Columbia, à New York. « En fin de compte, nous ne savons toujours pas grand-chose. »

Dans la tête des gens

La question de l’efficacité des masques va au-delà de la biologie, de l’épidémiologie et de la physique. Le comportement humain est un paramètre clé de cette équation dans les conditions d’utilisation réelles de ces protections faciales. « Il ne faudrait pas qu’une personne infectée se sente trop confiante en portant un de ces masques en tissu dans un lieu très fréquenté », déclare Michael Osterholm, directeur du Centre de recherche et de politique sur les maladies infectieuses de l’université du Minnesota à Minneapolis.

Heureusement, une étude sur la mise en pratique par les individus des recommandations de distanciation sociale, en prépublication, suggère que le port d’un masque incite le porteur et son entourage à mieux adhérer à d’autres mesures, telles que la distanciation sociale. Les masques sont peut-être un rappel visible d’une responsabilité partagée. Mais pour cela encore faut-il que les gens les portent.

D’après les données de l’Institut de métrologie et d’évaluation de la santé de l’université de Washington à Seattle, aux États-Unis, la proportion de personnes qui déclarent toujours porter un masque en public oscille entre 60 % et 70 % depuis la fin juillet. Il s’agit d’une augmentation substantielle par rapport aux 10 à 20 % d’adoption du masque observés en mars et en avril. Les modèles de l’Institut prévoient également qu’un taux d’utilisation du masque qui passerait à 95 % – un niveau observé à Singapour et dans certains autres pays – pourrait sauver près de 100 000 vies aux États-Unis d’ici à la fin de l’année.

« Il y a beaucoup de choses que nous aimerions mieux connaître sur l’efficacité des masques », déclare Theo Vos, qui a contribué à cette analyse. « Mais étant donné qu’il s’agit d’un geste très simple, peu coûteux et avec un impact potentiel si important, qui ne voudrait pas l’utiliser ? »

Les études controversées et les messages contradictoires ne font qu’embrouiller davantage le public. Une étude réalisée en avril qui affirmait que les masques sont inefficaces a été rétractée en juillet. Une autre, publiée en juin, pointait le rôle central des aérosols dans la contamination et l’efficacité des masques pour s’en prémunir, mais des dizaines de chercheurs ont attaqué sa méthodologie et demandé sa rétractation, ce à quoi les auteurs de l’étude se sont opposés. Entre-temps, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les Centers for disease control and prevention (CDC) américains ont d’abord refusé de recommander l’utilisation généralisée des masques, en partie par crainte de créer une pénurie de masques pour les personnels de santé. En avril, les CDC ont fini par recommander le port d’un masque lorsque l’éloignement physique n’est pas envisageable, et l’OMS a fait de même en juin.

Les dirigeants politiques ont également fait preuve d’un manque de cohérence. Après plusieurs mois de dénégation, Donald Trump a finalement consenti à recommander le port du masque en juillet, mais il en a rarement porté… même après être tombé malade du Covid-19 le 2 octobre. À l’inverse, d’autres dirigeants mondiaux, comme la présidente slovaque Zuzana Čaputová, ont porté des masques dès le début de la pandémie pour donner l’exemple à leurs concitoyens.

Le Danemark a été l’un des derniers pays à rendre obligatoire le port du masque, qui n’est requis dans les transports publics que depuis le 22 août. Le pays a maintenu un bon contrôle général du virus grâce à des mesures précoces de confinement, de tests et de recherche des contacts. Il est également à la pointe de la recherche sur les masques de protection, avec deux grands essais contrôlés randomisés. Un groupe de recherche au Danemark a recruté quelque 6 000 participants, en demandant à la moitié d’entre eux d’utiliser des masques chirurgicaux sur leur lieu de travail, et à l’autre non. L’expérience est terminée, mais d’après Thomas Benfield, chercheur clinicien à l’université de Copenhague et l’un des principaux auteurs, les résultats ne sont pas encore prêts à être partagés.

L’équipe de Christine Benn, qui travaille indépendamment de celle de Thomas Benfield, est en train d’enrôler environ 40 000 personnes en Guinée-Bissau, en sélectionnant au hasard la moitié des ménages qui recevront des masques en tissu bicouche – deux pour chaque membre de la famille âgé de 10 ans ou plus. L’équipe suivra ensuite tout le monde pendant plusieurs mois afin de comparer les taux d’utilisation des masques avec les taux de Covid-19. Chaque ménage recevra des conseils sur la façon de se protéger contre l’infection, sauf ceux du groupe de contrôle qui ne recevront pas d’informations sur l’utilisation des masques. L’équipe prévoit de terminer le recrutement des participants en novembre.

Plusieurs scientifiques se disent enthousiastes à l’idée de voir les résultats de cette étude. Mais d’autres craignent que cette expérience soit inutile et ne mette potentiellement en danger une population vulnérable. « Si c’était un virus bénin, ce serait très intéressant », déclare Eric Topol, directeur du Scripps Research Translational Institute à La Jolla, en Californie. « Mais on ne peut pas faire des essais randomisés pour tout – et on ne devrait pas. » Comme les cliniciens aiment le rappeler, les parachutes n’ont jamais été testés dans un essai contrôlé randomisé…

Christine Benn défend néanmoins son essai, expliquant que les personnes du groupe témoin bénéficieront toujours d’informations sur le Covid-19 et qu’elles recevront des masques à la fin de l’expérience. Étant donné le défi que représentent la fabrication et la distribution des masques, « en aucun cas », selon elle, son équipe n’aurait pu en distribuer suffisamment pour tout le monde au début de l’étude. De fait, les chercheurs ont dû revoir à la baisse leurs plans initiaux qui visaient à recruter 70 000 personnes. Christine Benn espère que cet essai apportera des bénéfices à toutes les personnes impliquées. « Personne dans cette communauté ne devrait être en plus mauvaise posture que si nous n’avions pas fait cet essai », dit-elle. Les données qui en résulteront, ajoute-t-elle, devraient alimenter le débat scientifique mondial.

Pour l’instant, dans le Minnesota, Michael Osterholm porte un masque. Pourtant, il déplore le « manque de rigueur scientifique » avec lequel ce sujet a jusqu’à présent été traité. « En science, nous avons pour habitude de critiquer les gens qui affirment des choses sans avoir de données probantes. Pourtant c’est ce que nous faisons souvent en ce moment. »

Néanmoins, la majorité des scientifiques sont convaincus que l’on peut recommander le port des masques. « Ce n’est pas la seule solution, admet Monica Gandhi, mais je pense que c’est un pilier majeur du contrôle de la pandémie. » Comme le dit Paul Digard : « Les masques fonctionnent, mais ils ne sont pas infaillibles. Par conséquent, gardez vos distances. »

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