Du consommateur responsable à l’hyperactiviste, comment les codes de la cosmétique ont changé

En juillet, les pharmacies françaises n’ont pas compris pourquoi les ventes des produits CeraVe, cette marque de dermo-cosmétique à petits prix, achetée récemment par L’Oréal, ont fait un bond spectaculaire… Le responsable ? Il est américain, a 22 ans, des yeux et des cheveux bleus, des boucles d’oreilles et s’appelle Hyram. En vantant les produits, ce Tiktoker aux 3,6 millions d’abonnés a vidé les stocks de nos officines avec une vidéo qui a franchi l’Atlantique à la vitesse du Corona. Un phénomène impensable il y a encore cinq ans, mais à lui seul symptomatique de l’évolution du monde de la beauté. L’évolution ? Pire, une révolution ! «Le secteur avait déjà amorcé une vraie transformation, avec des engagements plus clean et plus de transparence, confirme Lucile Gauthier, de l’agence de tendances Peclers, mais en stoppant le temps, la crise sanitaire a considérablement accéléré le mouvement.» Alors que signifie être belle aujourd’hui ? Beaucoup plus qu’une jolie frimousse et un ventre plat. Et que va devenir l’industrie cosmétique, notre trésor national dans le monde d’après ? Elle navigue à vue, secouée par des vents contraires, mais s’adapte et, vaille que vaille, se métamorphose.

Être belle, une quête dépassée ?

«Il existe une intense lassitude de la "beauté devoir" inaccessible des années 1980-90, imposée d’en haut et vers laquelle on doit tendre, note le philosophe Vincent Cespedes, qui étudie les mutations sociales. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Elle part de la base pour gagner les hauteurs». Bien sûr, tout a commencé en 2008 avec l’émergence des réseaux sociaux et des selfies. «En 2020, cela va plus loin que la lassitude, assure-t-il. Même la beauté "filtrée" est en train de devenir ringarde. La cybermodernité n’est plus la conformité à un modèle, mais la révélation de son originalité, de son imaginaire, voire de sa fragilité.» Le penseur parle même de beauté délibérative. «Elle devient un sport collectif, se crée à travers la communauté, les commentaires. Et elle n’est pas narcissique comme le pensent les plus de 30 ans, mais au contraire "échoïque", tournée vers les autres. Du coup, les actrices et les mannequins sont obligées de descendre de leur piédestal, de jouer le jeu et de donner leur point de vue sur le monde pour asseoir leur légitimité.»

Avec ses vidéos «vérité», où tout un chacun se montre tel qu’il est, TikTok challenge Instagram, né comme support d’une beauté idéalisée. Aujourd’hui, même les égéries virtuelles ont des «défauts». Et comme aujourd’hui tout est «fluide», les mêmes filles peuvent un jour exhiber leurs boutons (#acnepositivy) et leurs capitons sur un réseau social et apparaître le lendemain hypermaquillée pour LE selfie du jour. Quand les mères, toujours obsédées de minceur, incitent leurs filles à manger mieux, ces dernières répondent : «My body, my choice » («Mon corps, mon choix»), mais font des heures de sport pour «fitter» leur silhouette, défilent pour le climat, puis se précipitent chez Nocibé pour acheter les produits de Kylie Jenner.

La revanche des invisibles

Une jeune femme trisomique comme égérie beauté. Incroyable ? C’est pourtant ce qu’a fait Gucci en choisissant Ellie Goldstein, une jeune Britannique atteinte de trisomie 21, pour sa nouvelle campagne du mascara L’Obscur. La marque n’en est pas à son coup d’essai et a déjà fait appel à des égéries non conventionnelles. On se souvient l’an dernier du sourire aux dents chahutées de la chanteuse punk Dani Miller, photographiée par le fort peu consensuel Martin Parr pour présenter le nouveau rouge à lèvres de la marque. Provocation ? Toujours est-il qu’un million de tubes auraient été vendus le premier mois du lancement.

Cela a sans doute inspiré Marc Jacobs, puisque la campagne de son dernier parfum clame «Je suis parfait comme je suis» et dont les muses sont ses clientes. Quarante-deux anonymes, influenceurs et influenceuses ont été castés via les réseaux sociaux. Les candidat(e)s étaient invités à partager en vidéo leurs «parfaites imperfections» autour du hashtag #WhatIsPerfect, avant de participer au tournage organisé à New York. Même si cela fait déjà quelques années que le mouvement body positive a libéré le corps des femmes et que les visages de la diversité investissent les médias, on n’a jamais vu autant de mannequins de couleur dans les défilés et les magazines. De même, plus question de développer un fond de teint en moins de quarante teintes.

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Confiance et conscience

Du consommateur responsable à l’hyperactiviste, comment les codes de la cosmétique ont changé

«Le monde d’après, c’est surtout le monde d’avec, note Stéphanie Jolivot, directrice du pôle Luxe Business Intelligence de Publicis Media. Avec toutes les peaux, toutes les cultures, tous les genres.» Et les nouvelles exigences. Le naturel, l’efficacité, la sensorialité ne suffisent plus. Depuis les applis beauté comme Yuka, tout doit être transparent. «On est passé du consommateur responsable à un consommateur hyperactiviste, poursuit notre analyste. Il y a zéro tolérance, quitte à boycotter les marques si elles ne paraissent pas crédibles. Le mot-clé, c’est authenticité.» Dans ce chantier, le made in France, le local, les circuits courts ont plus que jamais leurs cartes à jouer, ne serait-ce que pour créer des emplois. Les entreprises familiales et les valeurs sûres comme Sisley ou Clarins, qui ont toujours misé sur les plantes et la tradition, savourent leur avance. Idem pour Phytomer, pionnier de la cosmétique marine, dont les spas ne désemplissent pas et qui se réjouit de voir que l’or bleu a le vent en poupe. Guerlain, trésor du patrimoine national, a pris résolument le virage de la transition écologique.

Autre fleuron du pays, Dior relocalise sa rose de Granville autour de la villa familiale du couturier. Six hectares ont ainsi été rétrocédés par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural de Normandie dans le but de redynamiser l’économie locale, mettre en valeur le territoire, concilier la préservation d’un patrimoine culturel et celle des espaces agricoles. Les pieds, qui seront plantés cet automne, devraient délivrer environ quinze tonnes de fleurs chaque année. Mais le grand gagnant du moment, c’est le care (soin). Le fameux Lipstick Index d’Estée Lauder, qui montre qu’en temps de crise la vente des rouges à lèvres grimpe en flèche, est désormais battu en brèche par le Moisturizer Effect et le boum des soins hydratants. Visage, corps, esprit, food … On ne propose plus seulement des crèmes, du parfum ou des make-up, mais tout un univers. Quand la maison Hermès entre en beauté avec des rouges à lèvres rechargeables, elle ne pense pas uniquement «produit» et «nouveauté», mais lifestyle et développement durable. La beauté du XXIe siècle sera holistique ou ne sera pas.

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Parlez-vous "skindie" ?

C’est ainsi qu’on appelle toutes ces petites marques indépendantes de soins visage qui poussent comme des herbes pas si folles. «Elles naissent avec trois francs six sous grâce au crowdfunding, des prêts bancaires ou des fonds régionaux, explique Pascale Brousse, tête chercheuse du cabinet Trendsourcing. Elles se font connaître grâce au digital et dès qu’elles font le buzz sont chassées par les grandes marques. Avant, il fallait faire un million d’euros de chiffre d’affaires pour avoir accès aux circuits spécialisés, entrer dans une pharmacie, chez Sephora, Le Bon Marché, les Galeries Lafayette ou Le Printemps… Plus maintenant.» À Paris, Le BHV Marais vient ainsi de dévoiler un nouvel espace Beauté Originelle au rez-de-chaussée du magasin pour incarner une vision positive de la beauté, à la fois plus vertueuse et plus responsable. Plus de trente jeunes marques y sont présentées comme Matière Brute, Antipodes, Axiology, Floratropia, Oden…

Chacune a son positionnement et certaines sont très à la mode, comme Oh My Cream, Holidermie, On the Wild Side, Les Huilettes, Laboté, Gallinée, Pai, Tata Harper ou encore Typology, dont les petits flacons de verre aux formules et aux prix minimalistes ont un succès fou. Elle fait même de la pub à la télé… Mais il ne suffit pas d’un joli storytelling sorti tout droit d’une école de commerce. Plus la marque est vraie et incarnée, plus elle plaît. Quelles jeunes pousses fleuriront, lesquelles faneront ? Rendez-vous dans cinq ans. Pour Ning Li, le jeune créateur de Typology, être belle aujourd’hui, c’est aussi accepter le temps qui passe comme on accompagne le cycle de la nature et des saisons, et ne pas forcément chercher à inverser le temps. Et le rêve dans tout ça ? «Le rêve, oui, répond-il. La frustration, non !» Challengés, les grands groupes incubent, absorbent et s’adaptent. Non seulement ils font un grand ménage dans leurs formules, ce qui prend du temps quand on a un catalogue de centaine de références, mais ils le font savoir. Sans communication et sans communauté, point de salut.

Le "clean" veut du net

2,3 millions de vues… Les vidéos de la marque 900.care, un nouveau concept de produits d’hygiène rechargeable, ont de quoi faire rêver les publicitaires et les marques. Une raison de plus pour prendre la parole directement. Avec ses cartes-réponses glissées dans ses produits, Jacques Courtin, le fondateur de Clarins, a inventé le concept il y a cinquante ans, sauf qu’aujourd’hui, tout se passe sur le Net. Le principe reste le même. La cliente redevient reine. Voire cocréatrice. Et les influenceuses se font ambassadrices. «En 2020, une marque est son propre média, confirme Tessa Guilloux, directrice de l’agence TG Communication. On se passe des intermédiaires, ce qui ouvre donc le champ des possibles. Grâce aux réseaux sociaux, on parle directement aux consommatrices et on vend dans la foulée. Le résultat est à la fois vertigineux et incroyable.»

Mais pour gagner la confiance des nouvelles générations, il faut dire clairement ce que l’on fait. «La cosmétique a un rôle à jouer dans la société, insiste Karine Cottin, directrice marketing et expérience consommateurs chez Pierre Fabre Dermo-Cosmétique. Le consommateur citoyen a soif de connaissance. Avant, on starisait le produit ; maintenant, on crée du contenu : tutos, décryptages, master class, ateliers, live streaming… Tout est expérience et partage.» Les patrons eux-mêmes mouillent la chemise. Mathilde et Bertrand Thomas, parents de Caudalie, apparaissent régulièrement sur les réseaux sociaux pour parler de l’entreprise. Terry de Gunzburg (by Terry) également. Bris Rocher, patron du groupe Rocher et petit fils d’Yves, fait des vidéos sur TikTok et sur YouTube, où il rappelle que, dans un monde de plus en plus digital et urbanisé, il est important de rester fidèle à ses valeurs et à son ADN d’origine.

En vidéo, "Style not Size", le pari body positif de deux influenceuses de mode

La parole à 360°

Les maquilleurs ne sont pas en reste. Parmi eux, Patrick Lorentz (Estée Lauder) organise souvent des tutos maquillage en live, où il parle autant soins que fards. Dans un automne marqué par la distanciation sociale, la maison Givenchy initie des workshops en ligne, dispensés par différents experts. On peut choisir entre «L’art de se parfumer», «Les conseils maquillage» ou «Prendre soin de sa peau». Toutes les occasions sont bonnes pour raconter son histoire, ses engagements, quitte à avouer qu’on n’est pas parfait, mais qu’on fait tout pour changer.

Le dialogue se poursuit à l’extérieur. En boutique, voire au musée ou dans la rue. Lancôme a inauguré à Singapour sa première boutique digitale conçue en 3D. Si le sérum Avanced Génifique fait office de fil rouge, le parcours est rythmé par un test de personnalité, des fonctionnalités de personnalisation ou encore des consultations beauté via E-Youth Finder, un outil de diagnostic de peau se basant sur le décryptage de selfies via l’intelligence artificielle. À Paris, Dior a modélisé sa boutique des Champs-Élysées pour créer une boutique virtuelle. Clarins a organisé une expo sur le toit de l’Arche de la Défense pour éveiller les consciences à la protection de la nature. Même Chanel a présenté ses laboratoires à ciel ouvert au Jardin des Plantes.

Beauté = santé

On sentait le vent venir, mais depuis le Covid, le bien-être et l’hygiène explosent. La maison devient un refuge. Même les produits ménagers sont travaillés comme des cosmétiques et le segment des appareils de home service, qui apporte l’institut à la maison, devient prometteur. Et qui dit santé, dit immunité. Vous n’avez pas fini d’entendre parler du microbiome, LE grand sujet de demain en médecine comme en beauté (avec le stress). C’est en soignant nos bactéries qu’on vaincra peut-être les virus. À propos de virus, Karine Cottin, des laboratoires Pierre Fabre, espère pour bientôt des brumes anti-adhésion et des packagings antimicrobiens. Pour nourrir sa beauté intérieure, la cosmétique flirte de plus en plus avec l’alimentation. Même Clarins crée des menus bien-être en collaboration avec des grands chefs.

L’autre façon d’envisager la santé, c’est de s’en remettre à la science en version clean’ical. De plus en plus de transfuges du monde médical se lancent sur ce marché si convoité. C’est le cas du professeur Augustinus Bader, le chouchou des actrices, de Victoria Beckham et, plus récemment, de Sir Fraser Stoddart, lauréat du prix Nobel de chimie 2016, qui a créé la marque Noble Panacea pour «promouvoir la santé de la peau» (noblepanacea.com). De la santé tout court à la santé mentale, il y a… le bien-être émotionnel. Lili Barbery, dont les cours de yoga kundalini en live ont cartonné pendant le confinement, le confirme : «Nos besoins et nos priorités sont totalement revus. Rien n’est plus précieux que notre santé et celle de nos proches. On passe de l’ère individuelle à l’ère collective avec la conscience que notre santé et notre comportement impactent le reste du monde. On constate aussi une véritable ouverture à la spiritualité qui se libère des clichés religieux et sectaires, car cela crée des rituels qui nous unissent.» Une spiritualité qui flirte aussi de plus en plus avec les neuro-sciences. Un sacré bouleversement !

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