"Je suis oppressée et submergée" : une directrice d'école confie ses difficultés face à la nouvelle vague de Covid-19

Au téléphone et plusieurs fois au cours de l'interview, Isabelle* rigole. Pourtant, au fond d'elle, cette directrice d'école élémentaire des Yvelines n'a pas envie de rire. La situation ne s'y prête pas. Moins d'une semaine après la rentrée, plus de 9 000 classes sont fermées et plus de 47 000 élèves ont été déclarés positifs au Covid-19, a annoncé le ministère de l'Education nationale, jeudi 6 janvier.

Depuis bientôt deux ans, Isabelle, comme ses homologues partout en France, a enchaîné un confinement et l'école à la maison, le retour en présentiel avec des règles adaptées, une rentrée pleine d'espoir en septembre et un retour à une situation "pire que lors du premier confinement", assure-t-elle, après les vacances de Noël.

Entre un premier protocole sanitaire allégé, annoncé par Jean-Michel Blanquer, la veille de la rentrée dans Le Parisien, puis un second trois jours plus tard, et une situation concrète parfois chaotique sur le terrain, la directrice navigue à vue, attendant des jours meilleurs entre petites joies fugaces, épuisement et démotivation. Voici son témoignage.


"Je gère un établissement de 15 classes. En temps normal, il y a 392 élèves. A la fin de cette semaine, on est plutôt autour de 300, puisqu'il y a sept classes suspendues et 11 cas positifs. C'est une école urbaine assez mixée socialement, la plupart des parents ont des métiers où le télétravail n'est pas possible, mais on compte peu de soignants. A la rentrée de septembre, on était tous motivés, les mois de mai et juin avaient été plus gais, quelques sorties avaient pu être organisées. Les enfants ne portaient plus le masque dehors, ça repartait. Mais en décembre, la situation s'est à nouveau tendue. J'ai dû prendre la décision d'annuler le marché de Noël pour la deuxième année consécutive. Les élèves, comme les enseignants, ont été déçus.

En décembre, j'ai dû gérer une dizaine de fermetures administratives de classes, car il était impossible de remplacer les enseignants. Lorsqu'on apprend l'absence d'un collègue et son non-remplacement, il faut appeler toutes les familles des enfants concernés pour expliquer qu'ils ne seront pas acceptés. En octobre et en novembre, nous pouvions répartir les quelques élèves non récupérés dans d'autres classes sous certaines conditions, mais en décembre, ce n'était plus possible en raison du protocole. Certains parents comprennent et s'organisent, mais d'autres s'insurgent : "C'est scandaleux ! Comment vais-je faire ? Je ne peux pas le garder..."

Une phrase qui me marque à chaque fois, c'est lorsqu'un parent me lance : "Comment je fais ? Moi je travaille !" J'ai envie de répondre : "Et moi je fais quoi ?" J'ai conscience que la situation pèse sur tout le monde, on se prend l'anxiété des gens. La colère et l'agressivité sont montées d'un cran avec les fermetures administratives. Je reçois des mails ou j'ai des discussions parfois houleuses, je suis en première ligne et j'encaisse les reproches. Certains parents énervés le matin viennent s'excuser le soir, ils savent que ce n'est pas de notre faute, mais parlent sous le coup de la colère.

"Le ministère n'avait peut-être pas anticipé..."

Lorsqu'arrivent les vacances de Noël, je suis épuisée. J'ai totalement coupé, je n'ai absolument pas ouvert mes mails durant 15 jours... C'était une question de survie. Je n'écoute plus les médias pour me préserver, j'ai donc découvert le nouveau protocole lundi matin. Tant que je n'ai rien sur ma messagerie, je considère que rien ne change.

Je comprends que des parents me disent : 'Je ne le mets pas de la semaine.' D'autres nous expliquent que leur enfant n'en peut plus ou s'inquiètent : 'Il ne va pas falloir que ça se répète.' Une famille a même décidé de ne plus remettre son enfant à l'école. Pour les parents, le retour du masque obligatoire à l'extérieur a été la goutte d'eau, ils ont donc choisi l'instruction à domicile.

Avec le deuxième protocole de la semaine, c'est un peu mieux, on évite de repartir sur une série de tests à chaque nouveau cas déclaré moins d'une semaine après le premier. Sinon, ça aurait pu ne jamais s'arrêter. Jusqu'à jeudi, on n'avait pas de document officiel provenant de l'Education nationale à transmettre aux pharmacies afin qu'elles délivrent les autotests aux parents qui venaient faire dépister leur enfant. Le ministère n'avait peut-être pas anticipé que les pharmacies allaient demander un document officiel ou alors il ne s'en doutait pas ?

"J'ai l'impression d'être un robot"

En attendant, certaines familles n'ont pas pu recevoir ces tests et étaient dans l'impossibilité de remettre l'enfant à l'école puisqu'il n'avait pas été testé. Même si on essaie de filtrer les élèves et de vérifier les attestations à la grille, un matin, on avait tout de même avec cinq enfants qui n'avaient pas de tests négatifs ou d'attestation. Je pense que certains vont faire des attestations sur l'honneur qui seront mensongères. Et j'ai envie de dire que ce n'est plus mon problème.

J'aimerais que le ministre nous demande notre avis avant de mettre en place de tels protocoles. Nous sommes en première ligne et on ne nous demande pas ce qui est réalisable ou pas. J'ai l'impression d'être un robot devant appliquer des directives dénuées de dimension humaine.

J'aimerais qu'on nous demande si tout va bien. J'ai rempli un seul questionnaire en deux ans, en sortant du premier confinement, mais depuis, rien. Et quand j'entends le projet de remplacer les enseignants absents par des étudiants ou des personnes à la retraite, je rigole. On est là pour faire de la garderie ? Ce métier s'apprend. On le déprécie.

"Les enfants ont perdu leur insouciance"

Les enseignants n'ont pas envie de venir le matin, ils sont noués. Il n'y a aucun projet, aucune dynamique. Ils sont contents de retrouver leurs élèves, mais ils savent que leur journée va commencer par un contrôle des tests ou par un message pour un cas positif. Ils sont aussi très sollicités par les parents dont les enfants sont à la maison et qui réclament le travail qui a été fait en classe. Mais ils ne peuvent pas assurer présentiel et distanciel.

Globalement, les enfants ne se plaignent pas trop, mais les moments de vie leur manquent. Deux élèves ont dû consulter des pédopsychiatres parce qu'ils ont développé des angoisses. Entre ce qu'ils entendent dans la presse, dans la cour, dans leur famille, ils ne savent plus s'ils sont en danger ou pas. C'est encore plus difficile pour les CP, car apprendre à lire avec un masque, ce n'est pas facile mais le niveau n'a pas trop baissé.

On a l'impression que les enfants ont perdu leur insouciance. Ça se voit dans leurs jeux dans la cour, on est toujours derrière eux à veiller à ce qu'ils aient bien leur masque. Courir avec un masque pendant la récréation, à huit ans, ce n'est pas normal. Je suis inquiète, on leur vole deux années de leur enfance. Comment vont-ils vivre avec ça en grandissant, comment cette période les aura-t-elle marqués ?

Ça fait deux ans qu'on se dit que ça ira de mieux en mieux, mais là je me demande quand est-ce que ca va s'arrêter ? Je ne sais pas si cela peut être pire que maintenant. C'est pire que durant le premier confinement parce qu'on a plein de choses à gérer. Tout déborde, on reçoit des messages de parents après 20 heures, 21 heures, parfois à 4 heures du matin. C'est une pression permanente, tu te réveilles le matin en te demandant ce qui va t'arriver.

Cela fait 20 ans que je suis dans l'Education nationale, cinq ans que je suis directrice, mais si le navire coule, ça sera sans moi. Je sais que le tableau n'est pas très gai. Personne n'a encore craqué, mais ça pourrait arriver. Il suffit d'un élément déclencheur pour que ça parte en vrille. Je caressais le projet de me reconvertir d'ici quelques années, l'envie est décuplée. Je sais que l'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs, mais si j'avais une opportunité, je démissionnerais du jour au lendemain."

* Le prénom a été changé.

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