« Boue miracle » : comment de vulgaires sachets de terre sont devenus un business douteux sur les réseaux sociaux

En 2021, les groupes Facebook vantant les bienfaits d’une « poudre miracle » se sont multipliés. L’entreprise canadienne Black Oxygen Organics derrière ce produit faisait miroiter aux internautes des bienfaits médicaux miraculeux et la perspective de gains rapides à ceux qui rejoindraient son réseau de vente. Problème, ce produit soi-disant révolutionnaire était littéralement constitué… de terre.

Avec l’arrivée des frimas de l’hiver, il nous arrive de feuilleter d’antiques grimoires à la recherche de remèdes de grand-mère. Nous avons tous et toutes nos astuces pseudo-thérapeutiques, chacune correspondant à un petit tracas bien précis. Mais imaginons un instant un remède miracle qui guérirait de tout, de la peau sèche à la maladie d’Alzheimer, en passant par les piqûres d’insectes, la constipation et autres maux digestifs.

Impossible ? Black Oxygen Organics, BOO pour les intimes, s’est employée à faire croire le contraire. De mai à novembre 2021, cette énigmatique entreprise canadienne a vendu des millions de sachets de « poudre miracle » en ligne. Mais en échange d’une centaine de dollars contre ce produit supposé révolutionnaire, les consommateurs et consommatrices se sont retrouvés avec… de la terre. Ni plus ni moins.

C’est une histoire pour le moins rocambolesque sur laquelle NBC News a enquêté en décembre dernier. Comment tous ces internautes ont-ils été aussi facilement et massivement dupés, au point de commander une poignée de terre qu’ils auraient pu ramasser eux-mêmes n’importe où, pour l’appliquer sur la peau, se baigner dedans ou même l’ingérer ?

Un composant miracle

Black Oxygen Organics met avant tout l’accent sur la composition de ses produits. Tablettes, poudre ou encore masques, tous sont présentés comme de véritables « trésors de la nature ». Le sachet de 125 grammes de poudre porte ainsi la mention suivante : « Ce produit est une excellente source d’acide fulvique, organique, d’acide humique, d’oligo-éléments, d’électrolytes et d’antioxydants. »

L’entreprise se targue d’extraire son remède miracle d’une tourbière de la vallée de l’Ouataouais, en Ontario. L’une des sources vivantes les plus riches en minéraux fulviques du monde, dont elle détiendrait les droits exclusifs. Cet acide fulvique est présenté comme un véritable or noir médical dont la liste des vertus serait sans fin. Il ralentirait le vieillissement, réduirait les risques de grippes, rhumes, constipation, diarrhée, maux de tête, arthrite, plaies, piqûres d’insectes, eczéma, d’Alzheimer ou encore de cancer, mais favoriserait aussi la perte de poids, la digestion, la pousse de cheveux ou la cicatrisation. C’est en tout cas ce que répètent sans relâche les partisans de Black Oxygen Organics (BOO).

Car ce sont eux qui, à l’aide d’une immense constellation de groupes Facebook, sont parvenus à diffuser aussi largement ces croyances pseudo-scientifiques. Grâce à un système d’embrigadement quasi-sectaire, Black Oxygen Organics a généré des millions de dollars de profit.

Les dérives du marketing multi-niveau

« Boue miracle » : comment de vulgaires sachets de terre sont devenus un business douteux sur les réseaux sociaux

Tout s’est joué dans les méandres de groupes Facebook. Animés pour leur grande majorité par des membres anglophones, ces cercles n’ont cessé de vanter les mérites des produits Black Oxygen Organics, réunissant les curieux pour les convaincre d’en faire l’acquisition. Pour cause : BOO se base sur le marketing multi-niveau, ou MLM en anglais (multi-level marketing). Pas de boutique physique ni de vente directe donc, mais des particuliers qui commandent puis revendent des stocks à d’autres en ligne. Ils peuvent dégager du profit de deux façons : la première, en vendant le maximum de produits via leur groupe Facebook ; la seconde, en recrutant de nouveaux revendeurs et revendeuses.

Selon Robert L. FitzPatrick, président de l’association américaine Pyramid Scheme Alert et auteur de l’ouvrage Ponzinomics, the Untold Story of Multi-Level Marketing, le marketing multi-niveau est « un système de pensée délirant qui présente le schéma pyramidal comme un modèle économique viable, mais qui repose sur la supercherie. » Un fonctionnement qui ne profite ni aux revendeurs, ni aux consommateurs, selon lui. « En réalité, 99% de ceux qui se lancent dedans perdent de l’argent », indique-t-il à Numerama.

Depuis Neutral Light, une vitamine sans valeur que l’on présentait comme un remède miracle en 1945, de nouveaux MLMs ne cessent d’émerger. Aujourd’hui, les réseaux sociaux représentent un terrain idéal pour le développement de ce système financier frauduleux. « Les MLMs reposent sur des croyances délirantes, qui fonctionnent mieux lorsqu’elles sont partagées de façon virale », précise FitzPatrick. Là où Black Oxygen Organics se distingue, et c’est un peu ahurissant, c’est que ce sont les seuls à vendre littéralement de la terre. C’est une absurdité, une ineptie totale ! » Un non-sens qui est selon lui rendu possible par les méthodes d’embrigadement quasi-sectaires de ces MLMs.

Des groupes Facebook aux allures de sectes virtuelles

Il est vrai que dans ces groupes, créés entre mai et juin 2021 le discours pro-acide fulvique s’apparente à celui d’un véritable culte. La plupart du temps, les créateurs et créatrices de ces bulles communautaires multiplient les publications pseudo-scientifiques, truffés d’extraits de soi-disant études ou de citations de chercheurs inconnus. Tout est mis en œuvre pour créer une illusion de légitimité scientifique, et donc de vérité.

Un véritable travail d’endoctrinement, renforcé par le ton volontairement avenant des posts. Smileys enjoués, réactivité dans les commentaires, citations creuses à prétention philosophique — « Chaque jour est un nouveau départ, prenez une grande inspiration et recommencez »- , témoignages à rallonge… Dans un groupe Facebook, une revendeuse raconte par exemple comment une cure de six mois lui a permis de retrouver son énergie, sa joie de vivre, une peau « super douce », des couleurs au visage et des cheveux fortifiés. Tout cela en utilisant le produit dans des bains de pied, des masques pour le visage… et en en ingérant tous les matins à jeun.

Mais ces méthodes éveillent peu à peu les soupçons, poussant les modératrices et modérateurs à redoubler de prudence. La plupart des groupes, créés en public, ont été passés en privé courant septembre 2021. Leur règlement interdit aux membres de s’envoyer des messages privés entre eux. Le seul canal de communication possible reste l’échange direct avec le créateur du groupe. Les informations sur la vente du produit sont transmises par message privé, jamais à la vue de tous. Enfin, pour esquiver les règles de modération de Facebook, aucun nom de maladie n’est épelé en entier et certaines lettres sont remplacées par des signes de ponctuation. Le cancer devient « can(er » ou « [email protected]@r » ; Alzheimer se transforme en « @!zheim*r » ; et l’eczéma en « e([email protected] ». Mais ces mesures n’ont pas suffi, et les critiques ont fini par émerger sur d’autres groupes Facebook grâce aux actions d’activistes anti-MLM.

« J’ai vomi 20 minutes après en avoir bu »

Sur ces groupes Facebook, mais aussi sur d’autres plateformes comme TikTok ou Instagram, des internautes se sont mis à analyser et contredire les allégations tenues par BOO. L’objectif : sensibiliser les internautes à ce type d’arnaque, et réparer les dommages subis.

Car les témoignages négatifs affluent, avec des récits parfois effarants : « J’ai vomi 20 minutes après avoir bu une petite quantité de BOO », écrit une certaine Amy Roberts. Une autre raconte ne pas s’être sentie bien après avoir tenté d’ingérer à plusieurs reprises des cuillères de BOO. « Quand j’ai demandé à ma fournisseuse de me rembourser, elle m’a dit que sa voix intérieure sentait que ça finirait par fonctionner. » Autre découverte alarmante : la fameuse tourbière d’où provient l’acide fulvique longerait une déchetterie, avertit une internaute.

Le département de santé canadien, Health Canada, est intervenu en exigeant un rappel immédiat des tablettes et des poudres. De l’autre côté de la frontière, la U.S. Food and Drug Administration a recommandé de jeter purement et simplement tous les produits Black Oxygen Organics, susceptibles de contenir des quantités importantes de plomb et d’arsenic.

Le fondateur ainsi que le vice-président du développement économique de BOO ont préféré cesser l’activité de l’entreprise le 23 novembre. Un simple mail a été envoyé à l’ensemble des consommateurs et des revendeurs, laissant plusieurs milliers d’entre eux avec des dettes, incapables de s’approvisionner et de fournir leurs clients en Amérique du Nord. Des plaintes collectives sont actuellement en cours. Peu de Françaises et de Français ont été touchés : on ne dénombre qu’une poignée de groupes Facebook francophones liés à Black Oxygen Organics.

Globalement, en janvier 2021, on dénombrait 1 million de Français impliqués dans le marketing de réseau. Selon un rapport récent de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires, les jeunes entre 16 et 25 ans sont particulièrement vulnérables, susceptibles d’être « séduits par l’idée de gagner d’importantes sommes d’argent très facilement ». Une situation qui n’est pas prête de s’arranger, regrette FitzPatrick : la seule solution serait de multiplier les campagnes de sensibilisation à ce sujet, en particulier sur les réseaux sociaux, où bon nombre d’arnaques se sont développées, se développent et se développeront encore.

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