Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) sont des troubles psychiatriques qui surviennent après un événement traumatisant. Ils se traduisent par une souffrance morale et des complications physiques qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. Face à un même évènement, le risque de développer de tels troubles dépend de facteurs préexistants propres aux patients et du contexte dans lequel les suites de l’évènement se déroulent. La prise en charge passe essentiellement par la psychothérapie (thérapie cognitivo-comportementale, EMDR). Grâce aux recherches en cours, une meilleure compréhension des mécanismes qui favorisent la résurgence des souvenirs douloureux permettra, à terme, de prévenir, soulager voire guérir ces troubles.
Dossier réalisé en collaboration avec Pierre Gagnepain, chercheur de l’équipe Mémoire et oubli, au sein de l’unité Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (U1077 Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études), Caen
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) se développent après un événement extrêmement traumatisant et se manifestent par sa reviviscence régulière, accompagnée de manifestations physique liées à l’émotion extrême ressentie. Ils altèrent de façon significative la vie personnelle, sociale et/ou professionnelle.
Ces troubles psychiatriques surviennent chez des enfants ou des adultes qui ont été exposés à un événement marquant, comme une menace de mort imminente, de blessure grave ou d’atteinte de l’intégrité physique dont ils ont été victimes ou témoins. Les TSPT peuvent également survenir après l’annonce d’une mort violente ou inattendue, ou d’un évènement grave touchant un proche.
Aussi, les individus souffrant de TSPT peuvent être tout autant des personnes qui ont participé à des combats militaires, été victimes d’une agression physique ou sexuelle, d’une catastrophe naturelle, ou d’une prise d’otage, que des professionnels qui sont intervenus sur des terrains de catastrophes, des parents qui ont perdu un enfant ou encore des témoins d’un accident, d’un attentat ou d’une catastrophe naturelle. Toutes ont pour point commun d’avoir vécu cet évènement comme un facteur de stress intense ou d’effroi, face auxquels ils se sont sentis impuissants.
Des traumatismes psychiques sont rapportés chez les soldats depuis l’Antiquité. L’intérêt qui leur est porté s’est ensuite développé par le biais de la médecine militaires, au 17e siècle. Mais c’est la violence des grands conflits internationaux du 20e siècle qui va imposer l’approfondissement des connaissances sur les troubles psychotraumatiques. Parallèlement, la description et l’étude de troubles similaires dans la société civile ont été rapportées dans la littérature scientifique dès le 19e siècle.
Néanmoins, le concept de troubles du stress post-traumatique, ou état de stress post-traumatique, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’a été cliniquement défini qu’en 1980, suite aux ravages de la guerre du Vietnam parmi les vétérans américains.
La prévalence des TSPT serait de 5 à 12% dans la population générale, mais ces données sont principalement issues d’études menées aux Etats-Unis (les études sur le sujet sont plus rares en France et dans les autres pays). De plus, ces chiffres pourraient être sous-estimés du fait de la méconnaissance du trouble et de ses présentations incomplètes qui peuvent échapper au diagnostic.
Il existe davantage de données concernant certaines populations spécifiques, plus souvent touchées par les TSPT (et donc plus étudiées). On estime par exemple que près d’un quart des militaires qui ont participé à une guerre sont concernés par ces troubles.
Concernant les témoins directs ou indirects d’actes terroristes, plusieurs enquêtes épidémiologiques ont récemment été conduites en France, en collaboration avec des équipes de l’Inserm. Ainsi, 6 à 18 mois après les attentats de janvier 2015 (Charlie Hebdo, Hyper Casher, Montrouge, Dammartin-en-Goële), 18% des témoins présentaient des TSPT, avec une prévalence allant de 3% parmi les témoins à proximité et jusqu’à 31% chez les personnes directement menacées (Etude IMPACTS). Les troubles concernaient également 3% des intervenants (policiers, soignants...), sachant qu’une proportion significative de l’ensemble des témoins sans TSPT présentait des troubles anxieux ou dépressifs liés à l’évènement. Une enquête similaire a été menée après les attentats de novembre 2015 (Paris, Saint-Denis) : elle a montré une prévalence des TSPT de 54% chez les personnes directement menacées et presque autant chez les personnes qui ont perdu un proche lors de ces évènements (étude ESPA-13 Novembre).
Une autre étude conduite à la suite de cette série d’attentats a décrit que la population générale pouvait avoir développé un TSPT sans avoir été directement témoin ou concernée personnellement par des évènements collectifs traumatisants : le temps passé à visualiser les images de ces attaques à la télévision était associé à un risque accru de développer des symptômes de stress post-traumatique spécifiques, toutes choses étant égales par ailleurs.
Le diagnostic de TSPT est posé chez une personne qui a affronté un évènement traumatique lorsqu’elle présente plusieurs manifestations responsables d’une souffrance et d’une altération du fonctionnement social et de la qualité de vie de façon significative :
Dans le décours immédiat de l’évènement, ces signes sont considérés comme un état de stress aigu. On parle de TSPT aigus lorsqu’ils persistent plus de 4 semaines. La plupart des personnes vont guérir de ces troubles dans les 3 mois suivant l’évènement, mais environ 20% vont développer une forme chronique du syndrome.
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Il faut aussi noter que, s’ils apparaissent généralement immédiatement, au bout de quelques jours, les TSPT s’installent parfois plus progressivement, se constituant tardivement, après plusieurs semaines, mois ou années.
Les TSPT résultent d’une interaction entre trois grands groupes de facteurs favorisants :
En tout état de cause, une personne sans facteur de vulnérabilité particulier pourra malgré tout développer un TSPT dans certaines situations.
Au contraire de souvenirs non traumatisants, le souvenir traumatique ne suit pas la procédure habituelle d’analyse et de mise à distance. En effet, dans les TPST, l’intensité de l’évènement serait telle qu’elle provoque une hypermnésie sur le plan émotionnel, tout en gênant la constitution de la mémoire épisodique qui permet de verbaliser et conscientiser ce qui survient. Cette modification peut parfois conduire à une amnésie partielle sur la façon précise dont l’épisode s’est déroulé. A posteriori, cette altération de la constitution de la mémoire rend l’individu incapable de mettre l’évènement à distance par la parole ou la conscience. Seules les émotions ressurgissent, avec une puissance similaire à l’évènement initial.
Ces observations sont corroborées par des expérimentations conduites chez l’animal, ainsi que par l’imagerie cérébrale : celle-ci met en évidence une hyperactivité de l’amygdale, lieu principal de la mémoire émotionnelle, et une hypoactivité de l’hippocampe, impliqué dans la mémoire déclarative. La plasticité de cette structure apparaît en outre réduite, tout comme son volume. Une diminution du volume hippocampique représente par ailleurs un facteur de vulnérabilité vis-à-vis des TSPT.
Sur le plan biologique, les mécanismes impliqués sont régis par une perturbation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, avec une libération exacerbée de différents médiateurs du stress, dont le cortisol, et une perturbation de différents neuromédiateurs (dopaminergique, glutamatergique…). La substance grise dite « périaqueducale », un ensemble de neurones impliqué dans les réactions de défense et d’évitement, est particulièrement active.
Lorsqu’il n’est pas pris en charge, le stress post-traumatique se chronicise et s’associe à d’autres types de manifestations : l’individu se plaint de fatigue chronique et ne présente ni énergie, ni motivation pour mener les activités habituelles de sa vie quotidienne. Il développe souvent des troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie…), une perturbation de sa vie affective et de sa libido.
Les TSPT sont souvent associés à d’autres troubles de santé mentale comme la dépression ou l’anxiété. Il a des répercussions handicapantes sur la vie sociale, familiale et professionnelle. La souffrance est telle qu’elle accroît le risque de dépendance à des substances psychoactives ou le risque suicidaire.
Par ailleurs, le TSPT est associé à un état de stress chronique qui va retentir sur la santé somatique de l’individu : les personnes qui en souffrent ont un surrisque de migraine, d’hypertension artérielle, d’ulcère gastrique, de maladies dermatologiques…
Afin de prévenir et limiter les effets du stress, un secours immédiat peut être apporté par des psychiatres, des psychologues cliniciens ou d’autres professionnels formés à l’écoute. Ce sont eux qui interviennent dans les cellules de soutien psychologique d’urgence qui sont mis en place lors d’évènements traumatisants survenant dans l’espace public. Le soutien apporté passe par l’écoute et le soutien psychosocial, ainsi qu’une aide matérielle et une orientation post-traumatique. La situation est plus compliquée pour les personnes soumises individuellement à un évènement traumatogène, car elles n’ont pas toujours les moyens d’entreprendre des démarches pour se faire aider.
À distance de l’évènement, les traitements recommandés en première intention sont les psychothérapies, par exemple cognitivo-comportementale ou EMDR (eye movement desensitization and reprocessing). Leur objectif est de limiter l’évitement mental et comportemental qui empêche le souvenir traumatique d’être intégré et traiter comme un souvenir habituel.
Sur le plan médicamenteux, des sédatifs, des antidépresseurs ou des anxiolytiques sont souvent prescrits en complément de la psychothérapie, selon les besoins du patient. Ils ont toutefois une efficacité limitée, purement symptomatique.
Pour un patient sur cinq environ, il existe un risque significatif de voir le malade rechuter à l’issue d’une prise en charge adaptée.
De nombreuses études ont permis de faire progresser la connaissance des mécanismes en jeu dans la mise en place et la chronicisation des TSPT, mais beaucoup restent encore à élucider. La part des mécanismes génétiques et épigénétiques fait notamment l’objet de travaux qui pourraient expliquer une part de la vulnérabilité interindividuelle face à un évènement traumatisant.
Sur le plan génétique, des études d’association génétique pangénomiques (GWAS) conduites sur d’importantes cohortes ont permis d’associer une part de la capacité de résilience (mesurée selon une échelle de score validée) à des variabilités génétiques. Plusieurs concernent des gènes qui régulent l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ou d’autres qui codent pour des médiateurs de l’inflammation. De la même façon, sur le plan épigénétique, la méthylation de l’ADN ou l’acétylation des histones au niveau de certaines régions a pu être associée à une variabilité de l’expression de gènes au niveau cérébral (gènes impliqués dans le transport de la sérotonine, au niveau d’exposition aux corticoïdes ou aux facteurs neurotrophiques...).
Les données de neuroimagerie, et notamment celles de neuroimagerie fonctionnelle, d’optogénétique, ou de chimiogénétique, ont quant à elles permis de décrire que les TSPT sont associés à une altération de l’activité et la connectivité de certains circuits neuronaux, en particulier ceux impliqués dans la détection de la peur et des menaces ou dans le traitement de la récompenses.
Après un événement traumatisant, les tentatives de suppression ou d’évitement du souvenir conduisent parfois paradoxalement à en augmenter la résurgence. Afin de minimiser ce mécanisme, il est nécessaire de recontextualiser le souvenir, afin qu’il puisse être dissocié et placé à distance des émotions initiales qui lui sont attachées. Même s’il est schématiquement établi que le souvenir traumatisant ne suit pas le circuit d’analyse et de mise à distance habituel des souvenirs non traumatisants, la part des différents mécanismes sous-jacents reste à élucider : difficulté à oublier le souvenir, mauvais contrôle de sa reviviscence, troubles de mise à jour de la mémoire (permettant d’intégrer que le risque ayant provoqué le traumatisme est fini)… Les données les plus récentes suggèrent en effet que ces différents mécanismes seraient impliqués dans la persistance du souvenir traumatique. Or cette persistance traumatique a récemment été associée à une incapacité à contrôler et inhiber les souvenirs intrusifs. Un dysfonctionnement du mécanisme préfrontal régulant l’activité provenant des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe, et empêcherait leur suppression et oubli. Ces pistes constituent autant d’éléments pour envisager le développement de traitements non pharmacologiques spécifiques, qui permettraient de travailler ces difficultés.
Par ailleurs, deux approches semblent aussi intéressantes. La première consiste en une administration de corticoïdes durant quelques jours ou semaines suivant l’évènement traumatique, afin de réduire les conséquences du stress. La seconde vise à limiter la consolidation des souvenirs, c’est-à-dire le passage de l’évènement de la mémoire à court terme à celle à long terme, avec un bêta-bloquant capable de pénétrer dans le système nerveux central, le propranolol. La molécule permet de réduire l’expression de la peur et vraisemblablement aussi la consolidation du souvenir lorsqu’il est réactivé. Son mécanisme d’action précis reste cependant à décrypter.
En 2016, l’Inserm, le CNRS et héSam Université ont mis en place un large programme de recherche transdisciplinaire visant à étudier l’impact des tragiques évènements du 13 novembre 2015. Parmi les différents projets du programme, le suivi d’une cohorte de plus de 1 000 volontaires est prévu pour 10 ans. Des personnes directement concernées par les attentats, de façon proche ou plus lointaine, ainsi que d’autres qui n’ont pas été personnellement concernés, seront interrogés à intervalles réguliers par des psychologues, psychopathologues, neuroscientifiques, mais aussi par des historiens et sociologues.
Un autre pan de ce programme, intitulé « Remember », porte plus spécifiquement sur des personnes directement concernées par les attentats, qui souffrent ou non d’un état de stress post-traumatique, ainsi que de personnes contrôles. Des entretiens et des analyses de neuroimagerie permettront de mieux comprendre les mécanismes de résurgence des images et pensées associées à l’évènement. In fine, l’ensemble de ce travail apportera des enseignements précieux sur la façon dont la mémoire se constitue et comment s’articule la mémoire individuelle avec la constitution de la mémoire collective.
Pour en savoir plus sur l’avancement de ce projet de recherche : Programme 13-Novembre – point d’étape 5 ans après le démarrage du projet (communiqué de presse du 10/11/21)
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