Avortement en Afrique francophone : les mouvements féministes sur le front

Droits humains essentiels, les DSSR constituent une composante majeure de la lutte contre les inégalités liées au genre et contribuent au progrès vers un développement juste et durable. Ils forment un continuum de droits et de soins indivisibles. L’avortement en est une composante clef, qui ne doit plus être négligée. A l’heure où le Bénin vient de promulguer une des lois les plus progressistes en faveur de l’accès à l’avortement en Afrique, ce sont encore près de 92% des femmes africaines qui vivent dans un pays où l’IVG est illégale. Même lorsque l’avortement est permis en cas de viol, d’inceste ou pour sauver la vie d’une femme, la stigmatisation, la discrimination, le manque d’information font que les femmes continuent d’avoir très souvent recours à des avortements non-sécurisés au prix de leur santé et de leur vie. Les chiffres restent édifiants : 15 000 décès évitables chaque année ! L’accès à l’avortement est une question de santé publique autant que de droit des femmes.

Le Partenariat de Ouagadougou, une initiative prometteuse

Cette initiative multi-acteurs a fait de la planification familiale en Afrique de l’Ouest sa priorité avec pour objectif initial d’atteindre « 6,5 millions d’utilisatrices additionnelles de méthodes modernes de contraception d’ici à 2030 ». Lorsque le Partenariat de Ouagadougou (PO) s’est créé, il n’était pas envisageable de mettre la question de l’avortement à l’agenda des discussions. Plusieurs raisons à cela, dont la « règle du bâillon mondial » remise en place en 2017 par l’administration Trump, qui prive les institutions qui refusent de la signer de fonds essentiels pour des services de santé tels que la contraception, la prévention et le traitement des IST et du VIH. Le PO reçoit le soutien d’agences bilatérales de développement, de fondations privées, ce qui a généré une grande visibilité internationale et des engagements gouvernementaux sur le sujet. Cela a indéniablement permis des progrès en matière de planification familiale. Mais cette mobilisation ne saurait atteindre ses résultats si l’avortement continue à être exclu des discussions. La contraception et l’avortement sont les facettes d’une même pièce : le droit de disposer librement de son corps. Pour faire avancer durablement l’accès aux soins, il faut promouvoir une application intégrale du concept de DSSR (telle que définie par la Commission Guttmacher-Lancet), sans la limiter aux questions de contraception.Pour que les systèmes de santé puissent mettre à disposition des services d’avortement sécurisé et de soins post-avortement, il faut agir à tous les niveaux de l’écosystème durable de l’avortement et donc sur les facteurs qui entravent les femmes dans leurs choix d’interrompre une grossesse : les normes sociales, le soutien communautaire, les cadres législatifs et règlementaires, le financement, la disponibilité des intrants.

Mobilisation de la société civile pour le droit et l’accès à l’avortement sécurisé

De nombreuses associations défendent depuis longtemps l’accès à l’avortement comme partie intégrante du continuum global des DSSR. C’est ainsi, qu’en marge d’une rencontre du PO en 2018, elles se sont réunies pour coordonner et unir leurs forces. Leur but ?Porter une parole pour l’avortement sécurisé en Afrique francophone, appeler à l’urgence de réinventer les partenariats, loin des clivages habituels qui opposent société civile et gouvernement, prestataires et communautés, pour briser les tabous qui entourent l’avortement, causant la mort de milliers de femmes chaque année.

3 années plus tard, est né le centre ODAS : Organisation pour le Dialogue pour l’Avortement Sécurisé en Afrique Francophone, première institution régionale dédiée uniquement à la défense du droit à l’avortement. Les DSSR ne seront effectifs qu’avec l’implication des femmes, aussi elles occupent une place centrale et décisionnelle au sein de cette institution initialement « incubée » par l’organisation Ipas. ODAS vise à rendre effectives les dispositions du Protocole de Maputo; principal instrument de défense des droits des femmes et des filles en Afrique. Il s’agit d’un instrument unique en ce qu’il garantit l’avortement en cas de viol, inceste, malformation fœtale ou danger pour la sante de la mère. 42 Etats ont ratifié ce protocole à ce jour et ont l’obligation de traduire ces dispositions dans leurs politiques de santé publiques. Mais on observe ces dernières années des oppositions toujours plus fortes aux droits sexuels et reproductifs dans les instances multilatérales, du fait de la montée en puissance de mouvements « anti-genre » et anti-choix mais également de la marginalisation historique de l’avortement au sein des Nations unies. En réaction, une mobilisation féministe africaine se fait entendre et demande notamment l’application des textes régionaux sur les droits humains dont du Protocole de Maputo. Ce dernier a probablement contribué ces 20 dernières années, à l’assouplissement des lois sur l’avortement dans 21 pays, dont la République Démocratique du Congo en 2018.

Pour une pleine réalisation des droits fondamentaux des femmes et leur autonomisation, le PO et ses partenaires doivent de saisir de l’enjeu de l’avortement sécurisé et légal. ODAS et ses allié·es sont là pour promouvoir une approche basée sur les droits, mettre les femmes et associations féministes au cœur de ces demandes, renforcer les partenariats avec les associations de terrains, les sages-femmes, les jeunes : le combat pour les DSSR sera inclusif ou ne sera pas.

Avortement : une approche de réduction des risques pour Médecins du Monde en République démocratique du Congo

À Kinshasa, près de 60 % des grossesses ne sont pas désirées, plus de 30 % se terminent par des avortements non sécurisés, responsables de près de 20 % de la mortalité maternelle. Depuis novembre 2018, Médecins du Monde (MdM) a développé, en collaboration avec le ministère de la Santé congolais, et via un financement de la fondation Packard, une approche de réduction des risques (RdR) apportant une réponse aux demandes d’avortements. Un réseau de référencement a été créé autour de trois acteurs principaux : travailleurs communautaires, centres de santé et pharmaciens, tous formés à la clarification des valeurs sur l’avortement et l’approche de RdR. Par ce biais, les femmes et les filles souhaitant avorter reçoivent des informations de qualité non jugeantes sur l’utilisation du misoprostol. A ce jour, 1300 femmes ont bénéficié de soins d’avortements complets, aucune complication majeure n’a été enregistrée, plus de 85 % ont bénéficié de contraception postavortement. Ce projet est construit autour d’une forte approche communautaire et permet également de nourrir un plaidoyer pour l’application du Protocole de Maputo et, plus largement, pour la suppression des barrières légales à l’IVG.

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