L’ombre des violences obstétricales en Afrique de l’Ouest

Depuis les années 2000 et partout dans le monde, on assiste à une intensification de la médicalisation de l’accouchement. Entre 1990 et 2014, le taux mondial d’accouchements assistés par un personnel soignant qualifié est passé de 59 % à 71 %. Cette médicalisation de la grossesse et de l’accouchement a indéniablement contribué à la baisse significative des taux de mortalité maternelle et néonatale dans le monde. Entre 1990 et 2015, la mortalité maternelle a diminué de 45 % et le taux mondial de mortalité néonatale est passé de 33 à 19 décès pour 1 000 naissances vivantes.

Résistances des femmes à accoucher en institution

Malgré ces progrès, en Afrique subsaharienne, les taux de mortalité maternelle restent particulièrement élevés et une femme sur deux n’accouche pas en institution. Des obstacles géographiques, financiers et sécuritaires (notamment au Sahel) limitent le recours des femmes à l’institution médicale. Cependant, l’inadéquation entre les attentes sociales relatives à l’expérience de la naissance et les conditions d’accouchement proposées dans les institutions de santé constituent également un obstacle important.

Depuis plusieurs années en Afrique de l’Ouest, des anthropologues ont documenté les violences constitutives des relations de soins dans différents services, y compris en maternité. Ces travaux ont eu une portée scientifique et sociale importante, mais les projets qui ont suivi n’ont pas suffi à enrayer ces violences et à regagner la confiance des femmes envers l’institution médicale.

D’autre part, ces travaux se sont concentrés sur les rapports de domination soignants-soigné·es sans prise en compte de la dimension genrée de ces violences. Nous proposons de changer de paradigme et de considérer les violences faites aux femmes lors de l’accouchement comme des violences obstétricales. Il s’agit avant tout des violences de genre, c’est-à-dire des violences commises sur et dans leur corps parce que celles-ci sont des femmes. Elles s’inscrivent dans l’histoire du contrôle du corps des femmes par l’institution médicale.

Violences obstétricales et revendications des femmes

Depuis les années 1970, des voix se sont élevées pour dénoncer la domination institutionnelle et praticienne des hommes au détriment des femmes dans la sphère de l’accouchement, la pathologisation de la conception, de la grossesse et de l’accouchement, et la perte d’un savoir-faire féminin. En Amérique latine, ces mouvements se sont rapidement structurés et dès le début des années 2000, les féministes ont publié des données sur les violences psychologiques, verbales, physiques et sexuelles envers les femmes au sein de l’hôpital au moment de l’accouchement. Elles ont également rendu publiques des données sur l’usage excessif de certaines pratiques médicales telles que l’épisiotomie ou la césarienne.

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L’ombre des violences obstétricales en Afrique de l’Ouest

Sous la pression des associations militantes, le Venezuela a été le premier pays au monde à inscrire « les violences obstétricales » dans sa loi nationale. Il les définit comme une appropriation du corps et des processus de reproduction des femmes par le personnel de santé. Plusieurs autres pays d’Amérique latine comme l’Argentine, le Mexique, le Brésil et l’Uruguay ont suivi la voie juridique du Venezuela. Ces dernières années, l’Organisation mondiale de la santé a multiplié les déclarations et les recommandations pour alerter sur les violences faites aux femmes au cours de leur accouchement en institution de santé.

Proposer une alternative à la « techno-bio-médicalisation » de l’accouchement

Aujourd’hui, partout dans le monde, y compris en Afrique de l’Ouest, l’accouchement est caractérisé par une « pathologisation » du corps enceint et accouchant et par une « techno-bio-médicalisation » de l’accouchement, c’est-à-dire par un recours accru à la biotechnologie. Dans la majorité des maternités d’Afrique de l’Ouest, les femmes accouchent dans des salles communes, sans accompagnant, et en position gynécologique avec une possibilité de mouvement très réduite.

De façon apparemment paradoxale, le manque de moyens humains et matériels dans ces maternités sous-équipées conduit parfois à une surutilisation de certaines pratiques telles que la césarienne. Face aux résistances de certaines femmes à accoucher dans ces conditions et à privilégier alors un accouchement à domicile, nous proposons de réfléchir à la pertinence d’un tel modèle et appelons à des recherches qui exploreront les attentes des femmes et leurs vécus relatifs à l’expérience de l’accouchement en Afrique subsaharienne.

Un modèle d’accouchement alternatif en Afrique

La Coopération japonaise (Japan Internationale Coopération Agency – JICA) propose depuis quelques années un modèle alternatif d’accouchement en promouvant un accouchement « humanisé ».

Ce modèle d’accouchement « dé-technicisé », où la femme peut boire, manger, déambuler, accoucher dans la position qu’elle souhaite, et avec la personne de son choix, a été exporté par la JICA dans différentes régions du monde – en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et en Afrique subsaharienne, notamment à Madagascar, au Mozambique, au Sénégal et au Bénin.

L’implantation de ce modèle va à contre-courant du modèle dominant de biomédicalisation et de biotechnicisation de l’accouchement qui est exporté par la majorité des bailleurs de fonds. Il rencontre des difficultés d’implantation dans certains contextes. Par exemple, au Bénin où il a été mis en place en 2009 dans la plus grande maternité de Cotonou (photo), le projet peine à perdurer. Notamment du fait de la résistance de certaines sages-femmes qui refusent la présence d’un·e accompagnant·e en salle d’accouchement et qui ne souhaitent pas que la femme puisse accoucher dans une position autre que la position gynécologique.

Ce modèle alternatif est cependant pertinent car il propose aux femmes d’accoucher au sein de l’institution biomédicale, en toute sécurité, mais dans un cadre plus respectueux de leur physiologie et de leur bien-être.

Placer les violences obstétricales au cœur des projets de santé maternelle

Pour conclure, nous proposons de considérer les violences obstétricales comme un obstacle structurel faisant partie des déterminants de la mortalité maternelle en Afrique subsaharienne et estimons que tous les projets de santé maternelle devraient aujourd’hui intégrer cette problématique des violences.

Enfin, il faut noter que ces violences ne se limitent pas au domaine de l’accouchement mais qu’elles affectent les femmes tout au long de leur vie sexuelle et reproductive. Nous appelons donc à intégrer la lutte contre les violences gynécologiques dans tous les projets relatifs à l’avortement, à la contraception et aux cancers dits « féminins ».

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