Ces soignants qui évitent les vaccins Recevez les alertes de dernière heure du Devoir

Ils préfèrent travailler « sous la table », réorienter leur carrière ou piger dans leur fonds d’urgence : ils sont des soignants dans le réseau de la santé, mais l’approche gouvernementale les rebute au point où ils préfèrent choisir n’importe quelle option, sauf celle de la vaccination.

Pour comprendre les raisons derrière leur choix, Le Devoir a discuté au cours des derniers jours avec des travailleurs de la santé de diverses régions du Québec. Ils font pour la plupart partie des 14 613 soignants du Québec qui ne sont toujours pas vaccinés. Ils forment une minorité ; représentent les 4 % de travailleurs de la santé qui n’ont reçu ni une ni deux doses des vaccins pour se protéger de la COVID-19.

Ils sont un petit groupe difficile à convaincre, hésitant pour une variété de raisons, et qui requiert une attention individualisée selon les experts.

La grande majorité d’entre eux a demandé à ne pas être identifiée dans ce texte. « Parce qu’on est ostracisés beaucoup. On se fait dire qu’on est des coucous », résume une infirmière auxiliaire des Laurentides.

Certains font quand même part de leur décision de quitter leur emploi sur les réseaux sociaux. Comme Marjolaine Normandin, une infirmière de la Mauricie qui obtiendra le titre de clinicienne dans quelques mois. « J’étais un ange essentiel. Je ne [le] suis plus. See ya », a-t-elle écrit le 4 octobre sur Facebook.

Cette journée-là, elle avait reçu une lettre de suspension après une journée de « bordel » : les ambulances « faisaient la file » devant l’urgence du Centre hospitalier affilié universitaire régional de Trois-Rivières, où elle travaille.

En entrevue, elle explique que son opposition au vaccin en a longtemps été une de principe. « Je l’avais refusé parce qu’ils me faisaient chanter avec mon travail », explique-t-elle. Le 12 octobre, elle a reçu une lettre de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, qui reprend le texte du décret gouvernemental sur la vaccination obligatoire. « […] Tout membre d’un ordre professionnel agissant dans un des milieux visés et qui n’est pas adéquatement protégé contre la COVID-19 commet un acte dérogatoire à la dignité de sa profession », y est-il écrit.

« Tu es digne de la profession quand tu fais des 16 heures à plus finir et que tu te plies à toutes les conditions, mais tu es indigne quand tu n’as pas deux doses ? » s’offusque Mme Normandin. Contrairement aux autres à qui Le Devoir a parlé, l’infirmière qui compte sept ans d’expérience a fini par accepter une première dose, fin septembre. Elle a pris son rendez-vous pour une seconde dose, mais hésite encore à s’y rendre, « juste par principe, en raison du chantage ».

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Quand il a repoussé mercredi l’entrée en vigueur de la vaccination obligatoire au 15 novembre, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a dit « tendre la main » aux soignants comme Mme Normandin. Le changement de ton par rapport à la semaine précédente était évident. Il se reflète dans la plus récente campagne de publicité du gouvernement, baptisée « Comprendre l’autre, c’est d’abord l’écouter ».

Des menaces et des choix

Mélanie Reid, qui travaille en santé et en santé mentale depuis 27 ans à Montréal, n’a aucune intention d’attraper la main du ministre. « Je cherche toujours autre chose ! Qui resterait pour un employeur qui ne respecte pas tes choix ? ! » demande-t-elle.  « Je me questionne moi-même en ce moment après 21 ans, et pour la première fois », dit aussi une infirmière de l’Estrie. Elle est épuisée par les heures supplémentaires de travail. « Je suis vaccinée par choix, mais je respecte le libre choix », insiste-t-elle.

Souvent dans les conversations, le style de gestion dans le réseau de la santé est mis en cause. « [J’ai] hâte de sortir de ce réseau qui ne respecte pas ses employés, qui essaye de les acheter avec des primes empoisonnées », dit Mme Reid. « Le monde est tanné de se faire menacer », ajoute une infirmière auxiliaire de la Gaspésie qui a 18 ans d’expérience. Le report de la date butoir a raffermi sa posture. « Elles ne reculeront pas, les infirmières. Elles n’embarquent pas dans ce discours-là », a-t-elle écrit au Devoir.

La femme de 55 ans a démissionné de son poste en CHSLD le 18 décembre. Elle se dit mal à l’aise avec les directives qui ont empêché les proches d’accompagner les leurs vers la mort. « Moi, je ne pouvais pas collaborer à une fin de vie comme ça, en ma conscience », dit-elle.

Puis, l’infirmière auxiliaire s’en prend au « Big Pharma », aux « chiffres manipulés ». Malgré les données prouvant l’efficacité des vaccins, elle juge qu’ils ont un caractère « expérimental ». Son discours résonne, à divers degrés, chez d’autres soignants qui ont discuté avec Le Devoir. L’une d’elles parle d’aînés dont les décès ont été attribués à la COVID-19, bien qu’ils aient eu le cancer. Puis, elle reconnaît ne pas savoir si les défunts ont été testés pour le virus. Une travailleuse prétend que des éclosions déclarées dans les hôpitaux sont fausses ; une autre dit qu’elles sont exagérées par le ministère. Au Québec et au Canada, les statistiques montrent clairement que la COVID-19 a eu un impact sur la mortalité. Le Québec a les données parmi les plus fiables au pays, a aussi conclu la Société royale du Canada.

La confiance en chute libre

En toile de fond, il y a cet effritement de la confiance envers le discours de Québec et les gestionnaires du réseau de la santé. « On est beaucoup censurées dans les CIUSSS. Il y a des filles qui ont dénoncé les conditions et qui se sont fait ramasser par leur supérieur. Dès qu’on fait un sit-in, une grève, on se fait bloquer de partout », se désole Marjolaine Normandin.

L’infirmière auxiliaire des Laurentides illustre quant à elle sa méfiance en rappelant l’hésitation du gouvernement à reconnaître, en début de pandémie, que les soignants n’étaient pas protégés adéquatement. « Souvent, il nous manquait de visières, de jaquettes, tout ça », dit celle qui a travaillé en zone rouge.

Elle revendique le « droit de poser des questions sans se faire traiter de coucou ». Avant la pandémie, elle avait reçu « tous ses vaccins » et ira se faire inoculer contre la COVID-19 « à un moment donné ». « Mais je ne veux pas que ça me soit imposé », souligne-t-elle. Le 15 novembre, elle perdra son droit de pratique et d’enseigner en soins infirmiers, comme elle le fait depuis 15 ans. « Je suis prête à y songer sérieusement », dit-elle au sujet de la possibilité de changer de carrière.

Un infirmier dans un hôpital de la Mauricie résume quant à lui son opposition au vaccin par une « peur bleue ». Il dit craindre les effets secondaires liés au sérum, puis les énumère : « myocardite, AVC, péricardite, embolie pulmonaire ». En date de vendredi, le taux de manifestations cliniques inhabituelles par 100 000 doses de vaccins contre la COVID-19 était de 76,1, selon les données de l’Institut national de santé publique du Québec.

Cet infirmier ira travailler dans un autre domaine, après avoir pris un temps de repos et épuisé les économies de « son fonds d’urgence ». Mais « si, au final, je dois être vacciné pour être caissier au Dollarama, je vais aller me faire inoculer, contre mon gré, pour retrouver mon poste à l’hôpital », lance-t-il.

Efficacité démontrée

Le 7 septembre, le comité d’éthique de l’Institut national de santé publique a rendu un avis favorable à la vaccination obligatoire des travailleurs de la santé en se basant sur le principe de précaution, pourvu que la mesure exceptionnelle demeure temporaire. Il jugeait auparavant qu’il fallait plutôt éviter la vaccination obligatoire du personnel de la santé par respect pour l’autonomie et la liberté de choix. Une étude en cours a démontré jusqu’ici l’efficacité des deux doses de vaccin contre les décès et les hospitalisations. Au total, 11 437 personnes sont mortes de la COVID-19 au Québec. Chez les 12 ans et plus, 87 % de la population est adéquatement vaccinée.

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