Positivité toxique : vouloir à tout prix se sentir bien n’a rien de bon

Quiconque aura l’audace de se plaindre verra s'abattre sur lui et sa famille dix ans de malheur ! Depuis quelques années, l’injonction au bonheur et à la bonne humeur est telle que l’on n’ose plus prononcer la moindre jérémiade. Il faut avoir passé des vacances de rêve en Grèce, adorer son boulot, savoir s’épanouir seule et/ou en couple, être passionné·e de sport, de méditation, de cuisine et de jardinage, et surtout… rester positif·ve, plus encore quand une pandémie mondiale s’abat sur nous. Entre la perfection en carton sur les réseaux sociaux, le boom du développement personnel et le côté survivor induit par le Covid, ces deux dernières années ont paradoxalement été placées sous le signe de l’excellence et du dépassement de soi. « La positivité toxique est quelque chose qui m’a d’abord frappée sur les réseaux sociaux. Je remarque aussi que beaucoup de mes patients sont en difficulté, mais ne cessent de répéter “Je sais que je devrais être reconnaissant·e...”. Ils ont l’impression de ne jamais en faire assez, car il existe une vraie pression autour de la performance, autant sur le plan public que privé », affirme Whitney Goodman, « psychologue radicalement honnête » aux près de 400 000 abonnés sur Instagram.

Volontarisme et perfectionnisme : ces has been

Pour celle qui dédie son compte à la prévention anti-positivisme forcé, « le développement personnel est si populaire que l’on est devenu·es obsédé·es par nous-mêmes ». « Si l’on est constamment en train de penser que quelque chose ne va pas chez nous, ou que l’on trouve toujours des choses à améliorer, c’est que les choses deviennent trop intenses, ou qu’elles nous affectent de manière négative », estime Whitney Goodman.

À trop vouloir devenir de meilleures versions de nous-mêmes, le règne hégémonique du proverbe « Quand tu veux, tu peux » s’est imposé. Le bonheur semble alors réservé aux enthousiastes et à ceux qui neplaignent pas. « Le puritanisme moral et psychologique est revenu en force ces dernières années, en voulant nous faire croire à la suprématie de la volonté, si ce n’est à sa toute-puissance, avec son corollaire de responsabilisation à outrance », dénonce Saverio Tomasella, docteur en psychologie, et auteur de « Se libérer du complexe de Cendrillon* ». Pour le psychanalyste, penser que l’épanouissement personnel est inaccessible à toute forme de négativité relève d’« une mythologie, d’une construction fantasmatique et morale qui repose sur un refoulement collectif, par l’éviction de la souffrance, de la mort, des difficultés, et des conflits ».

Se détacher d’une perfection illusoire et inatteignable pour accepter de ne pas être au top de soi-même 7J/7 est devenu un réel enjeu pour la santé mentale. « Le perfectionnisme nous oblige à nous contorsionner pour répondre à un idéal en nous oubliant, voire en sacrifiant notre épanouissement au profit de notre réputation », dénonce Saverio Tomasella.

Pour Whitney Goodman, il est alors primordial de faire le tri sur les réseaux sociaux. « Si le fait de suivre certaines personnes nous pousse à avoir une mauvaise estime de nous, nous fait nous sentir mal, il faut se désabonner pour suivre des comptes qui nous font rire, ou qui nous intéressent », préconise l’Américaine, qui a fait de la positivité toxique son cheval de bataille sur Instagram.

Vient ensuite le moment d’accepter ses émotions, toutes ses émotions. Refouler des sentiments identifiés comme négatifs est en effet totalement contre-productif. À mesure qu’on les nie, ils prennent en effet de l’ampleur dans nos esprits, venant alimenter notre charge affective. « Plus on réprime nos émotions et les douleurs qui leur sont liées, plus on accumule un trop-plein d’expériences difficiles et de malaises », confirme ainsi Saverio Tomasella. Sa collègue américaine rappelle que « les études montrent qu’être capable de vivre ses émotions, de les nommer, et d’identifier d’où elles viennent, nous aide à avancer ».

En mimant une bonne humeur à toute épreuve, les sentiments d’isolement et de honte s’installent, certaines personnes sombrant même dans de graves dépressions. On pense alors ressentir des émotions illégitimes, ou excessives, qui ne sauraient être comprises par d’autres, voire « invalidées » par notre entourage. « La positivité factice est un poison pour le cœur et pour l’âme. Elle nous pousse à mentir, à tricher, à faire semblant, à ne penser qu’à soi, à se mettre en avant, et le retour de manivelle, un jour où l’autre, est d’autant plus violent. On tombe de très haut, on sombre dans le dégoût de soi, le désespoir ou le cynisme », alerte Saverio Tomasella.

Je ressens, donc je suis

Il semblerait donc qu’une bonne dose de noirceur soit salvatrice, de temps à autre. « Tous les humains sont vulnérables, cela fait partie de notre condition. La bonne santé psychique réside justement dans le fait d’accepter nos fragilités, nos égarements, nos blessures et nos moments de faiblesse, pour grandir à chaque fois que nous sommes confrontés à notre vulnérabilité, à la douleur et à la mort », assure Saverio Tomasella

Finalement, n’est-ce pas libérateur d’avouer que l’on a passé des vacances pourries sous la pluie, qu’on est complètement déprimé·e par notre dernière rupture, et que non, nous n’avons jamais réussi à méditer ? Sur les réseaux sociaux, la positive attitude est peu à peu mise au placard, pour des feeds empreints d’humour et d’honnêteté. On ne cherche plus à montrer un coucher de soleil idyllique derrière un verre de rosé bien frais, mais un quotidien sans fard et qui s’assume enfin. « Ces dernières années, l’exhibition emphatique de soi était de règle sur les réseaux sociaux. Un brin de modestie ne saurait nuire… », se réjouit Saverio Tomasella. « C’est très important d’accepter nos ratés, notre part d’ombre, nos imperfections, nos défauts, nos échecs, nos doutes. Ce qui compte, c’est l’authenticité et la sincérité vis-à-vis de nous-mêmes, et l’honnêteté face à la réalité », affirme l’auteur, qui revendique l’existence de « râleurs heureux et en bonne santé ».

« Tout cela est générationnel, et je constate que les jeunes sont beaucoup plus sensibles à la vulnérabilité, au fait de se montrer de manière authentique. Les choses sont en train de changer, les gens veulent de la sincérité plutôt de fausses images et du paraître », estime de son côté Whitney Goodman. La vraie révolution passerait par le fait d’enlever enfin leur étiquette « positive » et « négative » à nos émotions. « Cela fait plus de vingt ans que je m’insurge contre ces catégories moralisantes. Les émotions sont neutres, il s’agit de signaux, des messagères, des informations utiles qui demandent à être entendues, car elles nous renseignent sur ce que nous sommes en train de vivre, à travers notre corps », explique le docteur en psychologie. « Le négatif nous aide à découvrir qui sont les personnes que nous n’avons pas envie d’avoir autour de nous, à comprendre sur quelles choses nous devons travailler », affirme Whitney Goodman.

De la colère autant que de la joie, de la tristesse autant que de la fierté peuvent ainsi naître des choses positives pour notre construction. « C’est ce que nous faisons de nos émotions qui peut nous être favorable, ou pas. Si nous prenons le temps d’accueillir chaque émotion, nous vivrons beaucoup mieux et en bien meilleure santé », encourage Saverino Tomasella.

Pour l’auteur, « il s’agit d’amorcer ce changement culturel fondamental qui consiste à accepter toutes les manifestations de notre sensibilité, pour mieux repérer ce que nous ressentons et l’exprimer avec les mots les plus justes ». Les seules clés sont alors « l’accueil empathique et la compassion réelle ». Dans les faits ? On ne dit plus « Ça va aller ! », ou « Regarde le bon côté des choses », mais on « écoute attentivement, avec bienveillance, sans aucun jugement ».

* Aux éditions Eyrolles.

Articles Liés

  • Effets de l’huile de palme sur la santé : quels dangers ?

    Effets de l’huile de palme sur la santé : quels dangers ?

    GO

  • Obligation vaccinale à Lourdes : l'employée d'un centre de dialyse déboutée

    Obligation vaccinale à Lourdes : l'employée d'un centre de dialyse déboutée

    GO

  • Charlotte, étudiante sage-femme : "On est très vite en autonomie"

    Charlotte, étudiante sage-femme : "On est très vite en autonomie"

    GO

  • Eudémonisme : tout savoir sur cette philosophie du bonheur

    Eudémonisme : tout savoir sur cette philosophie du bonheur

    GO